Les couleurs de la dépression

Les couleurs de la dépression

Par Charles Karaha dit « Afistòl » Je suis Charles Karaha. Mais tout le monde me connaît sous le pseudonyme de Afistòl. Un contexte assez particulier a précédé ma naissance. C’est peu après le décès de mon père que ma mère s’est rendu compte qu’elle était enceinte. Peu de temps après, un autre grand malheur la frappait : sa fille de 5 ans mourrait d’une maladie contre laquelle mes parents s’étaient battus avec désespoir. Cette grossesse tourmentée par les pleurs et la douleur atroce causée par le départ en quelques mois de deux êtres chers aboutira à un petit garçon : moi. Ma mère avouera par la suite qu’elle se serait suicidée après la mort de mon père et de sa fille si elle n’était pas enceinte. Elle a combattu la tristesse, le manque, la douleur à cause de moi. Mais cela ne l’a pas empêché de sombrer dans une dépression totale. Six mois après ma naissance, j’ai été donc remis entre les précieuses mains de ma tante, puis ensuite entre celles de ma grand-mère, une femme extraordinaire de laquelle j’ai puisé toute la force et l’énergie qui m’ont permis d’affronter les périples auxquels j’ai été confronté dans ma vie. Mais au remariage de ma mère, c’est alors que l’enfer a commencé. Quand je suis allé vivre avec elle et son mari, ce Monsieur, qui avait l’air de bien m’aimer au départ, a dévoilé le monstre qui se cachait en lui. Je n’ai jamais revu, ne serait-ce qu’une fois, l’ange qui l’habitait quand il demandait la main de ma maman. Il n’a jamais levé la main sur moi, mais il avait une voix que je redoutais tellement qu’elle me faisait trembler, et les principes qu’il instaurait à la maison frôlaient le ridicule. Par exemple, dans un rituel dont je n’ai jamais compris le bien-fondé, puisque mon école était sur le trajet de ma mère, il fallait que ce soit lui, mon beau-père, qui me dépose à l’école tous les matins, me réveillant bien plus tôt que nécessaire et me déposant à la rue des Fronts-Forts, pour que je continue seul à pied jusqu’à la rue du Centre. J’avais alors 6 ans et j’étais en douzième à l’Institution Saint-Louis de Gonzague. C’est dans ces circonstances que j’ai commencé à faire des blagues. Là où mon beau-père me déposait, il fallait que je traverse quatre carrefours pour arriver à l’école. Je devais donc trouver de l’aide pour traverser les rues, et j’avais peur qu’on me fasse du mal. Je me suis donc mis à gagner la sympathie des cordonniers et des marchands installés sur le trottoir en les faisant rire sur mon passage. Ainsi, tous les jours je trouvais du monde pour me faire traverser les rues, et j’avais un sentiment de sécurité. Faire rire était devenu mon rempart de sécurité. Mais j’ai quand même grandi en tremblant. J’avais peur, car tout était pour moi un signe avant-coureur d’échec, une éventualité d’autant plus redoutable que je m’étais moi-même fixé un défi : celui de vivre la vie que mon père que je n’ai pas connu n’avait pas vécue. Celui de réussir là où il n’avait pas réussi. Je me suis mis beaucoup de pression sur le dos. Je me suis rendu compte que j’étais en dépression en 1990. J’avais peur de façon constante. Une peur si puissante qu’elle avait anéanti tout mon système immunitaire. J’étais tout le temps malade. J’ai fait une stroke, une crise cardiaque suivie de 5 pontages qui m’ont laissé avec 1/3 du cœur endommagé, j’avais une hernie que j’ai moi-même étranglée en moins d’une semaine… J’ai subi trois opérations cervicales. J’ai fréquenté toute une pléiade de psychologues et de psychiatres, presque tous ceux qui professent à Port-au-Prince. J’ai suivi des thérapies, mais J’étais un obstacle à ma propre guérison. J’ai pourtant accepté de l’aide de tout le monde : les prières, les thérapies, les conseils d’amis, tout. J’ai eu des meilleurs moments et plusieurs périodes de rechute, mais la naissance avec complications de mon fils et le tremblement de terre du 12 janvier sont les deux grands pics dépressifs qui m’ont vraiment affecté. Ma dernière intervention chirurgicale, une opération de plus de 10 heures dans ma colonne vertébrale, a été l’occasion d’un nouveau départ pour moi. L’ayant subi aux États-Unis, j’étais loin du stress quotidien généré par la vie familiale, les affaires et tout le reste. Des amis que Dieu a placés sur mon chemin m’ont aidé à me remettre sur pied. Ils m’invitaient tous les jours à sortir : j’ai commencé à apprécier la compagnie des autres, à me remettre à l’humour, à voir la vie autrement. C’est alors que tous les conseils positifs prodigués par les psychologues et les psychiatres qui m’ont suivi pendant plus de vingt années sont remontés à la surface. J’étais enfin prêt à les accepter et à les comprendre. Je me suis mis à les appliquer jour après jour, et ainsi, j’ai pu me sortir la tête de l’eau. La grossesse de ma mère, sa dépression, mon enfance douloureuse, un facteur génétique aidant aussi peut-être, beaucoup d’événements et de circonstances m’ont amené à la dépression. Et je suis conscient que c’est un combat que je mène pour la vie. Je ne peux pas dire aujourd’hui que j’en ai fini avec la dépression. Mes expériences avec cette maladie me montrent qu’on ne peut pas en sortir du jour au lendemain. Je la visualise comme un chemin qui est mauvais pour soi. Ce qui m’aide à m’en sortir c’est de m’être créé un autre chemin parallèle. A chaque pas dans le chemin de la dépression, je m’applique à faire aussi un pas dans le chemin positif que je me suis créé. Plus je gagne en force dans le chemin positif, moins je fais des pas dans celui de la dépression, jusqu’au jour où je ne marcherai plus dans ce dernier. Mais je fais attention, et je reste conscient que la dépression est toujours là sur ce chemin parallèle. C’est cela le combat, rester alerte et prendre soin de soi pour éviter toute rechute. Aujourd’hui je me fais volontiers un serviteur de toute personne qui souffre de dépression et qui voudrait de l’aide. Il important que les gens sachent que c’est une vraie maladie, une qui peut, aussi incroyable que cela puisse paraître, générer toutes sortes d’autres maladies. Il est possible de se sortir de la dépression, mais avec de l’aide (amis, famille, psychologues). Il suffit juste de chercher cette aide et d’être disposé à l’accepter et à suivre les conseils des professionnels.

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