La question de l’égalité et de l’équité au Festival Quatre chemins

La question de l’égalité et de l’équité au Festival Quatre chemins

On fait du théâtre, on fait de l’art, parce qu’on vit, et parce qu’on veut questionner ce vécu. « Il n’y a pas d’art de la mort. » Deleuze. On fait ce festival parce que des gens vivent encore dans ce pays, malgré tout. Ainsi se déploiera la 18e édition du Festival de théâtre quatre chemins. Malgré vents et marées.

Publié le 2021-11-10 | lenouvelliste.com 1 / 2Pour 4 chemins facebook sharing button Partager twitter sharing button Tweeter email sharing button Email sharethis sharing button Partager

whatsapp sharing button

Le Nouvelliste : La phrase phare du Festival cette année est : Qui est contre l’égalité ? Quel sens cela a-t-il pour vous ? Pourquoi cette question ?

Guy Régis Jr : Il était temps que le plus grand festival des arts vivants de Port-au-Prince se penche sur la question de l’égalité et de l’équité. Nous vivons dans un monde injuste, inégalitaire. Et la question de l’égalité de droit entre femmes et hommes en Haïti est une affaire urgente. Tous nos milieux sociaux témoignent de notre retard crucial sur la question : dans la famille, le milieu éducatif, et surtout dans tout le milieu socioprofessionnel. Cette affaire-là, c’est notre affaire. Elle ne doit pas concerner que les femmes, qui représentent plus de la moitié de la population haïtienne. En tant que citoyens, nous devons agir pour changer cet état de fait. Un festival est un espace ludique, un lieu de réjouissances par les arts, mais surtout selon moi un endroit d’où l’on ne repart pas sans rien dans la tête. Avec ces débats que nous lançons chaque année pour une citoyenneté responsable, nous voulons dire que les artistes aussi sont concernés, qu’ils et elles sont porteurs de ces questionnements à partager avec la cité, le monde. Le monde des artistes ce n’est nullement un monde clos. Un artiste pense la société dans laquelle il vit. C’est d’ailleurs le lit de sa création.  D’où part sa pensée. Pourquoi créerait-on, sinon ? Nous ne pouvons passer outre ce combat, cette grande lutte des femmes vers l’égalité de droit et de fait.  

Le Nouvelliste : Chaque année le Festival quatre chemins met à l’honneur une troupe ou un.e artiste du milieu. Cette année vous n’avez pas d’artistes invité.e.s Est-ce un choix ?

Guy Régis Jr : Si vous nous suivez bien, nous avons arrêté avec la série des artistes invités depuis deux éditions maintenant. Mais on va reprendre en grande pompe l’année prochaine. Avec un.e artiste dont vous allez entendre beaucoup parler. Nous avons jugé bon que ce n’était pas assez profitable pour eux. La situation sociopolitique empêchait les artistes de vraiment pouvoir tout montrer de leurs talents. Vous souvenez-vous de toutes les difficultés que s’était donnée Michèle Lemoine pour réussir à nous montrer son travail ? Elle avait réussi, malgré tout, à nous offrir un festival exceptionnel. Et aussi, un festival doit pouvoir se régénérer. Nous grandissons avec les difficultés auxquelles nous faisons face, et aussi les différents changements que nous sommes obligés d’apporter.

On fait du théâtre, on fait de l’art, parce qu’on vit

Le Nouvelliste : Le Festival quatre chemins se fait malgré la situation sociopolitique du pays. Pouvez-vous nous dire avec quel sentiment vous organisez cette 18e édition ?

Guy Régis Jr : On ne fait pas le festival malgré la situation. On fait le festival, c’est tout. Déjà pourquoi l’existence d’un festival en Haïti ? Comment le festival est né ? Je n’ai jamais connu ce pays dans le calme le plus complet. On fait du théâtre, on fait de l’art, parce qu’on vit, et parce qu’on veut questionner ce vécu. « Il n’y a pas d’art de la mort. » Deleuze. On fait ce festival parce que des gens vivent encore dans ce pays, malgré tout. C’est avec ce sentiment-là qu’on concocte chaque édition. Le pays connaissait le trouble quand j’ai participé à la toute première édition du Festival. On vit le pays avec ses hauts et ses bas. Au fait, on devrait s’intéresser à créer plus d’espaces de beauté de ce genre, que se poser la question du pourquoi ils existent. C’est donner raison à ceux qui croient que l’art est l’affaire des fantaisistes. C’est donner raison à ceux qui pensent que la grande violence que nous subissons aujourd’hui doit prendre toute la place. Et alors comment espérer un autre pays ? Les arts sont le fait de tous. Il faut que nous les défendions. Nous ne devons pas les laisser envahir, comme c’est le cas aujourd’hui à Noailles. Ce serait dommage un pays laissé seulement aux pleurs, et non aux arts et à la réflexion. En 2018, la direction artistique du Festival quatre chemins avait réuni toutes les manifestations dans Jaden Sanba, pendant plusieurs jours. Nous voulions nous rencontrer autour de la poésie, de la photographie, du théâtre et de la danse. On l’a fait. Et au début des années 2000, j’ai commencé à faire du théâtre avec Twoup Nou dans les rues de Port-au-Prince, avec ces mots de Malcolm X : By any means necessary. Aujourd’hui, je travaille avec des jeunes qui y croient, comme moi. Ils sont de moins en moins jeunes d’ailleurs (Rires). Le Festival a 18 ans. Ce n’est pas le moment de freiner sa jeunesse. 

Libres de proposer au festival des créations

Le Nouvelliste : Comment choisissez- vous les spectacles qui vont être représentées dans le cadre du Festival ?

Guy Régis Jr : Comme toujours, ce sont les artistes qui nous proposent des dossiers, des créations déjà présentées, un an, deux ans auparavant. On les examine, on va les voir. On les insère dans notre programmation. On part à la quête de créateurs qui nous intéressent aussi, en Haïti et à l’international. Ceux qui vont avec la ligne artistique de la direction artistique. Et, en dernier lieu, nous choisissons ceux qui ont un lien avec l’esprit éditorial de l’année, c’est-à-dire qui rentrent en résonance avec le débat citoyen de l’édition. En dernier lieu, car nous ne sommes pas un festival à thème. Je le dis et le redis. Pour que les artistes sachent qu’ils ne doivent pas créer en fonction d’un sujet. Qu’ils sont libres de nous proposer tout ce qu’ils créent.

Le Nouvelliste : Comment faites-vous chaque année pour trouver les fonds nécessaires ?

Guy Régis Jr : Nous avons des partenaires fidèles. Puis, nous passons toute l’année à chercher le reste des aides, partout. Dans les autres pays, les grands festivals comme Quatre Chemins ont fini par générer un fonds propre avec la billetterie. Nous, nous avons toujours priorisé un festival accessible, gratuit à 80%. Nous avons en majorité un public d’étudiants. Donc peu solvable. A la différence des autres pays, nous devons être ingénieux. Réussir à faire beaucoup avec peu. Mais heureusement, nous pouvons compter sur certains collaborateurs nationaux et internationaux, qui ne nous ont jamais lâchés. Nous les remercions ici encore.  

Le Nouvelliste : Votre équipe est essentiellement composée de jeunes. Pourquoi ce choix ?

Guy Régis Jr : Euh jeunes… Ils le sont de moins en moins, comme j’ai dit tantôt (rires). La preuve, c’est que plusieurs d’entre eux aujourd’hui volent de leurs propres ailes, ont un ou de nouveaux métiers grâce à leur passage dans l’équipe. C’était très important de travailler avec des jeunes, qui comme moi, ont été élevés, éduqués, ici dans ce pays. Parce qu’on met du temps à nous faire confiance, et à tort. Les jeunes ne demandent qu’à être mis à l’épreuve, mais il faut qu’ils soient accompagnés. Comment créer de nouveaux cadres, de jeunes professionnels pour ce pays, sinon ? C’est tout à fait logique, en même temps. Ce n’est pas que je sois un génie, non plus. Mais, regardez autour de vous. Il n’y a que des jeunes. Ce pays regorge de jeunes esprits, partout. C’est évident qu’on ne peut pas penser faire sans eux. Il faut construire le monde avec ceux à qui l’avenir appartient. Nous sommes là, les aînés, pour partager notre expérience. Accompagner. Moi, je pense qu’une des raisons de nos égarements aujourd’hui, c’est qu’on n’écoute ni les enfants ni les jeunes. On leur demande de nous écouter comme de pauvres gagas. A nous la connaissance ! Et ce constat est valable pour le monde entier. Tant que nous n’écouterons pas les enfants, les jeunes de nos quartiers en Haïti, de ces quartiers d’où je viens moi aussi, je peux vous dire, que nous serons toujours dans le plus grand des égarements.   

Le Nouvelliste : Cela fait huit ans que vous dirigez le Festival Quatre chemins, êtes-vous satisfait du travail que vous accomplissez au sein de l’association ?

Guy Régis Jr : A vous et au public de faire le constat. Je ne peux être juge moi-même du travail accompli au cours de ces années. Ce que je peux dire tout au moins. Diriger un festival n’est pas de tout repos pour un artiste dont l’essence même est d’être libre. On doit toujours satisfaire les uns et les autres, les artistes, le grand public. Ce n’est pas une sinécure. Non un métier facile, loin de là. Je vois des gens s’enorgueillir d’être à la tête d’un tel projet. D’autres gens qui le prennent pour une position confortable. Ils se leurrent à se croire grands décideurs. En tant qu’artiste, aucun festival n’a décidé de qui je suis, et de qui je serai. Non, ce n’est pas confortable du tout de stresser sur ce qui va se passer ou pas. Sur les moyens dont on dispose ou pas. D’être tout le temps en train de défendre les arts. De quémander. Car pour la plupart des gens, nous sommes des perdants. Nous les emmerdons. Je ne le fais pas pour côtoyer non plus ces gens. Je n’en aurais pas besoin en tant qu’artiste. Et puis, je suis fondamentalement un homme de théâtre, un créateur. Je préfère de loin, mais alors de loin, diriger mes créations qu’une direction artistique de festival. Néanmoins, j’ai compris une chose essentielle dans la direction artistique : que mon métier n’est pas aimé de tous, et qu’il faut le défendre par-devant tous.

Guy Régis Jr : Depuis 3 ans, vous essayez de proposer un festival pendant un mois. Entre les activités en amont qui durent deux semaines et les deux autres semaines du Festival, cela fait pratiquement un mois. Pourquoi avez-vous choisi de faire un mois de festival ?

Nous voulions réussir un festival à la hauteur de Port-au-Prince, cette grande capitale du Nouveau Monde. On ne peut pas penser petit pour une capitale de près de deux millions cinq cent mille personnes. Le festival, c’est aussi le seul moment où on parle largement d’arts vivants en Haïti. On voulait élargir encore plus ce temps-là. Je ne suis pas du tout satisfait du rayonnement de notre festival. Certes, on peut toujours cacher notre non réussite derrière plein de raisons : chaos politique, crise sanitaire, catastrophes naturelles… Mais je pense que tous autant que nous sommes dans cette ville, avec autant de cerveaux, nous pouvons réussir à faire de Port-au-Prince une grande capitale des arts. 

Une programmation essentiellement locale

Le Nouvelliste : Parlez-nous un peu de la programmation de cette année.

Guy Régis Jr : Cette année, à cause de la conjoncture sociopolitique qui ne favorise pas la participation d’artistes étrangers, en termes de spectacles et de performances, le Festival offre une programmation essentiellement locale avec des créateurs et créatrices de plusieurs générations, par exemple : Florence Jean Louis Dupuy, Andrise Pierre, Naïza Saint-Germain, etc. Aussi, autour de notre phrase phare « Qui est contre l’égalité ? », cette 18e édition consacrera une série de conférences et de projections qui traiteront de la question des luttes féministes en Haïti et à travers le monde avec plusieurs professionnel.le.s et institutions spécialisées. Nous avons par exemple l’honneur de recevoir le film « Freda » de Gessica Généus le dernier jour du Festival. Par ailleurs, à côté des concerts de musique et de nos traditionnelles soirées poétiques baptisées « Café poésie », les festivaliers et festivalières pourront également assister à deux séries de lecture. La première est prévue durant nos activités EN AMONT et présentera des textes de théâtre du Liban. La seconde qui se tiendra durant les dates officielles, mettra encore cette année les projecteurs sur les nouveaux textes de dramaturges haïtiens. Donc, nous invitons le grand public à nous suivre sur nos différents réseaux sociaux, afin qu’il soit informé de notre calendrier qui comportera pour leur plus grand plaisir, une soixante-dizaine d’activités en ligne et en présentiel.  

Le Nouvelliste : Vous organisez le festival dans plusieurs espaces comme le Centre d’art, etc. Et il y a des activités qui se font en même temps. Avec le phénomène d’insécurité grandissante, comment comptez-vous garantir la sécurité des gens, ou que prévoyez-vous comme mesures de sécurité pour cela ?

Guy Régis Jr : Nous allons malheureusement faire un festival qu’à des heures de la journée, et non le soir, afin de permettre au public de rentrer tôt. Toute personne devra s’inscrire pour participer à nos manifestations. Ce n’est pas pour pénaliser notre cher public, mais nous allons prioriser une réservation nominative. Et bien sûr, nous sécuriserons nos différents espaces à l’aide de plusieurs agents de l’ordre. Nous ferons aussi attention de sécuriser le public contre la propagation du coronavirus qui n’est pas complètement éradiqué, en respectant les mesures sanitaires en vigueur.

Propos recueillis par Claude Bernard Sérant

Related posts