Dimanche 11 aout 2019 ((rezonodwes.com))– Après avoir été à l’origine du débat sur l’impossibilité de la poursuite du Président de la République Jovenel Moïse devant la Haute Cour de justice dans le cadre de la courageuse initiative des députés de l’opposition, il nous apparaissait urgent d’attirer l’attention des parlementaires ( législateur de 2019) sur la nécessité de résoudre ce problème institutionnel à travers l’adoption d’une loi, dont est amputée à ce jour cette juridiction spéciale.
À rappeler que la Combinaison des articles 173, 185 et 186 de la Constitution en vigueur, ainsi que l’article 8.1 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme constituaient la pierre angulaire de la démonstration scientifique ayant été exposée dans l’article « la Casse-cou du peuple : l’obstacle à l’aboutissement de la démarche des parlementaires accusateurs ». Les commentaires de bon nombre de juristes, voire des profanes, prouvent que sa portée n’est pas négligeable dans l’actualité politique et juridique du pays. L’affaire Petrocaribe en atteste.
Sans revenir sur les détails, l’article a fait son cours en suscitant beaucoup de débats contradictoires, et a sans doute réveillé la paresse de notre législateur. Car nombreux sont des députés qui s’en sont inspirés pour assurer avec dextérité la défense du Président de la République lors de la séance de mise en accusation de ce dernier. Ils se proposent même à ce jour de faire adopter une loi en la matière. Bravo! Car pour une fois, l’ouïe parlementaire a été tendue à la compétence.
Même si cette démarche législative marquera un tournant remarquable dans le système juridique haïtien, il n’en reste pas moins que les incidences seront considérables sur la vie politique de la République.
Cette proposition de loi ou son adoption ne pénétrera-t-elle pas le salon du Cabinet d’instruction dans le cadre de l’affaire Petrocaribe pour y prendre place? N’aurait-elle pas influé sur le procès La Saline suite aux accusations portées sur des anciens officiels, dont le Président de la République? L’ancien Premier ministre CEANT pourrait-il être entendu ou inculpé comme aurait souhaité l’ancien député de Delmas, ou serait-il envisageable de l’auditionner exclusivement à titre de renseignement dans l’affaire La Saline? Le tout devant la juridiction de droit commun.
Autant d’appréhension qui nous conduit à proposer une piste de solution au Gouvernement et au législateur pour pallier le handicap juridique sur la légitimité de l’établissement de la Haute Cour de Justice. De bonne foi d’excellents juristes ont confondu la légitimité et l’aspect constitutionnel d’une institution.
Au vrai, au regard de l’article 185 de la Constitution, la création institutionnelle de la Haute Cour de Justice ne fait aucun doute. En revanche, il n’est pas sans savoir que la légitimité d’un Tribunal répond à des caractéristiques qui relèvent exclusivement de la volonté populaire, exprimée par l’adoption d’une loi. C’est un principe universel en matière d’établissement de tout Tribunal, dont la mission est de rendre une décision juridictionnelle à laquelle sont attachées des garanties de justice.
En l’espèce, une éventuelle proposition de loi sur la légitimité, prolongement de légalité, de l’établissement de la Haute Cour de Justice risque d’amplifier l’instabilité politique au lieu de la modérer. Cependant, l’intelligence des décideurs publics, particulièrement le Gouvernement, peut anticiper tout tumulte politique qui risque de saccager le pays.
En fait, à travers l’article 62 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, la République d’Haiti reconnait la compétence contentieuse et consultative de la Cour de San José ( Cour interaméricaine).
Alors, à travers l’article 64 de la Convention, il serait déterminant pour le Gouvernement d’inviter la Cour à apprécier si les dispositions de l’article 185 de la Constitution et cette éventuelle proposition de loi sont compatibles avec l’article 8 de la Convention relative aux garanties judiciaires.
Certains juristes s’interrogeraient probablement sur la notion de supériorité de la Constitution à la Convention. Leur interrogation serait légitime. Toutefois, il convient d’affirmer que cette demande d’avis sur les dispositions constitutionnelles, le cas échéant une proposition de loi, entre bien dans le champ d’application de la compétence de la Cour. Cette affirmation appelle deux précisions. Premièrement, la Cour ne tendra pas sur la supériorité entre les normes constitutionnelles et conventionnelles mais elle va se contenter d’apprécier leur compatibilité. Deuxièmement, le but de la Convention est d’aider tout État partie à la Convention à mieux se conformer à ses obligations internationales en matière des droits de l’homme.
Or, la Haute Cour de Justice est tellement déterminante dans le traitement des affaires Petrocaribe, La saline et la mise en accusation du Président de la République qu’il incombera à la Cour de ne pas contraindre l’État haïtien à enfreindre la Convention par l’expression populaire. Car l’implication des anciens ministres, des anciens Premiers ministres et du Président de la République pour des actes commis ou suspectés avoir commis dans l’exercice de leurs fonctions conduira en tout état de cause à la saisine de la Haute Cour de Justice à la lumière de l’article 186 de la Constitution. Alors, par souci du respect des garanties judiciaires proclamées à la Convention américaine en son article 8, l’État haïtien est tenu d’adapter sa législation, Constitution comprise, à son engagement régional.
Donc, il est dans l’intérêt de tous les politiques de contribuer à ce tournant remarquable dans le processus juridique de notre pays.
Dès lors, en vertu de l’article 64.2 de la Convention américaine, ce serait de notables progrès dans la vie politique haïtienne que le Ministère haïtien des Affaires étrangères saisirait la Cour d’une demande d’avis sur la compatibilité de l’article 185 de la Constitution haïtienne ainsi qu’une éventuelle proposition de loi d’application relative à la Haute Cour de justice à l’article 8 de la Convention américaine relative aux garanties judiciaires. Ainsi, nous emprunterons la voie du Costa Rica en la matière en date du 21 juillet 1983.
Me. Guerby BLAISE
Doctorant-Chercheur en Droit pénal
Et Procédure pénale
À l’Université Paris Nanterre
Avocat et Professeur à l’Université
E-mail: kronmavie@yahoo.fr